Contes étymologiques
Qui n'a jamais recherché l'étymologie d'un mot ? Est-il grec ou latin ? Eh bien pas toujours !
Une curiosité de départ a parfois l'art de nous faire découvrir une histoire passionnante. Et c'est ici que cela se passe. Laissez-vous emporter par le voyage linguistique d'un mot. Attention, rien n'est laissé au hasard ! Qu'il s'agisse du lieu, des personnages ou de leurs aventures, tous les éléments du récit sont, de quelques manières, liés à l'origine du mot.
Nénuphar
Pour la beauté d'une fleur
Origine du mot :
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emprunté au latin médiéval nenuphar ;
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lui-même de l'arabe nainūfar ;
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avant lui, du persan nīlūfar ;
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qui fut emprunté au sanskrit nīlōtpala «lotus bleu», composé de nīlah « bleu-noir » et utpalam « fleur du lotus ».
Venue du sous-continent indien, Nīlōtpala, douce princesse des eaux belles, entreprit un long voyage. Parvenue aux monts Zagros où nul n'avait admiré de pareilles vénustés, on la nomma Nīlūfar.
Apaisée près des fontaines de Babylone, elle endura le supplice des hommes. Ravie par les peuples arabes, elle fut par la suite volée par les Francs qui lui offrirent la marque grecque de la nymphe. Ainsi, Nainūfar s'anima en Nenuphar. Un nom dénaturé pour qu'à jamais elle restât ineffable.
Court
Par amour du jeu
Origine du mot :
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de l'anglais court ;
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issu de l'ancien français cort ou curt ;
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lui-même du bas latin cortis « enclos, cours » ;
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qui provient probablement du latin classique cohors « basse-cour romaine ».
1494. Au cœur du fief de Valois, dans l’enceinte du château de Cognac, un garçonnet au destin monarchique vint au monde. S'ébattant dans les Cortis royaux, François 1er ignorait encore son avenir. Roi de France avide de guerres et de plaisirs, il para sa Cort de Villers-Cotterêts d'un jeu de paume.
De loisir nobiliaire, cette pratique évoluera en sport populaire. Ainsi, la Cort du roi devint le Court, domaine des Dieux du stade.
Macaque
« Singé » bien que singulier
Origine du mot :
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provient du portugais macaco « singe » ;
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lui-même du bantou (Congo) « sorte de singe » à l'époque de la colonisation de la côte africaine par les portugais.
À bord de leurs fiers Trois-mâts, des conquistadors lusitaniens parcouraient le globe. Proche du royaume du Kongo, un héritier de Vasco de Gama commanda de débarquer sur ces terres austères. Et pour cause, des cris stridents transperçaient les racines entrelacées des mangroves. Ils s'enquirent auprès des sages bantous qui désignaient ces stentors sous le nom de Makaku. Munis de ce nouveau mot, les navigateurs ibériques reprirent leur périple et baptisèrent Macaco tous les singes qu’ils rencontrèrent. Ainsi, le Macaque ne resta pas sans pareil.
Robot
Origine du mot :
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mot tchèque robot formé sur le féminin robota « travail pénible, corvée » ;
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lui-même emprunté au slave ancien rob « esclave ».
Né des abysses
Il s'appelait Rob. Esclave slave des mines tchèques, il s'échine chaque jour à extraire l'or ténébreux de la terre. Gueule noire, son humanité se meurt tout comme son identité. Il appartient au sous-sol non moins que les roches qu'il extrait attiennent aux profondeurs. Une cadence au rythme du pic qui l'efface de ses confrères. L'exploitation close, il fut oublié. La répétition l'usa et il rendit l'âme. De son souvenir, il ne subsistera que Robot(a), un rouage asservi à la corvée.
Pie
Et pie c'est tout !
Origine du mot :
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du sanskrit pika « sorte de coucou » ;
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du latin pīca « pie, bavard » forme au féminin de pīcus « pic » ;
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du provencal piga, du portugais pega, du russe copoka, etc.
Aux prémices de la vie, Mère Nature créa tout autant le beau que l'espiègle. Parmi ses conceptions, des corvidés au tempérament autoritaire essaiment. Qu'elle soit bavarde, pilleuse de nids ou protectrice intrépide, la pie allie tous les pays autour d'une même souche. Les Hindous la nomment Pika, les Russes Copoka et les Latins Pica. Ce discoureur reste indéniablement apprécié pour son plumage, non moins que pour son ramage.
Cravate
Née de la guerre
Origine du mot :
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du slave (croate) hrvat ;
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devenu krvat en français avant d'adopter sa graphie définitive cravate.
Famine. Épidémie. Violence. C'est au cœur de la guerre de Trente Ans qu'un cavalier croate se révèle. De front avec Louis XIII, c'est une étoffe autour du col qui va interpeller et transmuer l'allure de la noblesse. Ce jour, de Hrvat, ce mercenaire adoptera le nom de Kvrat. Il ruera avec sa troupe dans les collines d'Artois dans une quête sauvage. Ce dernier hallali mit un terme aux actions belliqueuses de notre cavalier dalmate. Vainqueur, Cravate deviendra dès lors son ultime titre.
Chocolat
De potion miraculeuse à portion savoureuse
Origine du mot :
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de la langue « nahuatl » (langue parlée par les Mayas), cacahuatl est une boisson à base de cacao et d'eau ;
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les Aztèques nommeront le breuvage xocolatl en hommage à la déesse de la fertilité Xochiquetza ;
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les Espagnol utilisent ensuite le terme chocoatl.
Égarés sur les terres péninsulaires du Yucatán, peu de conquistadors espagnols survécurent à la tourmente qui entraîna leurs navires dans l'abîme. Ils gagnèrent le rivage, éreintés, et tel Tantale, tous tentèrent de triompher de la soif. Dans leur errance, les ibériques rencontrèrent une cohorte maya. Ce peuple, aujourd'hui éteint, reconnut chez ces hommes à la peau de cuirasses un caractère divin. Ils leur offrirent un breuvage épais rouge sang comme une oblation. De retour en Europe, ce cacahuatl prit la forme de chocoatl en terre espagnole et mua en chocolat dans le palais des Français.
Vague
Origine du mot :
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de l'ancien scandinave vagr « mer » ;
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puis du moyen néerlandais wage ;
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et de l'allemand wâge « vague ».
Face aux tumultes vikings
Les esprits sommeillent. Les drakkars vikings voguent et la houle s'accentue. Un raz-de-marée culturel et militaire s’apprête à déferler. Abreuvés depuis l’Antiquité par les bienfaits de la Méditerranée, les Francs n’avaient pas appris à nommer les colères de la mer. Il fallut attendre les lueurs des peuples de Scandinavie. Les proies de leurs sévices empruntèrent leur idiolecte, et les remous de l’océan, que les Normands nommaient Vagr, se mua en Vague sous la plume des érudits d’autrefois.
Sirène
Origine du mot
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du grec ancien seirên
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puis emprunté au latin siren « être fabuleux de la mythologie grecque ».
Du fait de l'influence des mythes nordiques, la sirène-poisson prit le pas dans l'imaginaire collectif. Dans l'Antiquité et jusqu'au Moyen Âge, il s'agissait de femmes ailées.
Entre le ciel et l'eau
Étendue sur un écueil parmi la mer de Norvège, Siren s'éprenait du récit homérique d'Ulysse chanté dans les proses de L'Odyssée. Et tandis que le roi d'Ithaque était arrimé à son mât, une femme ailée de mauvais augure se dégagea de ses attaches livresques. Seirên se tenait là, comme caressant les eaux de ses pas. Consumée par la jalousie, Siren la dépouilla de ses plumes dans un accès de furie. Plongée dans l'ignominie, l'enchanteresse déchue se laissa emporter par les flots, et n'exista plus qu'à travers l'art et l'encre des mots.
Grimoire
Origine du mot :
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anciennement de la forme gramaire, gramare au sens de « livre de magie » ;
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au XIIe siècle, la grammaire désignait uniquement des livres de grammaire latine, inintelligibles pour le commun des mortels. C'est pour cette raison qu'il les soupçonnait de contenir des formules magiques.
La magie des mots
Il régnait une douce ambiance printanière ce jour-là sur Kensington lorsque Marie sonna à la porte d'une élégante demeure victorienne. Véritable titi parisien, elle eut vent d'une offre de jeune fille au pair qui la conduisit en plein cœur de Londres. Quatre sourires indélébiles lui offrirent l'hospitalité. Le seuil juste franchit, le charme opéra.
Voilà plusieurs semaines que Marie se mêlait au quotidien de cette famille exemplaire. Le père eut inopinément le désir de parfaire le français de sa maison. Une aubaine… La jeune fille abattit son livre des ombres comme un faix. « Gramaire » culminait fièrement sur la couverture de cuir. La famille abasourdie ne put se détourner de l'ouvrage funeste. Maculé de calligraphies gothiques et de représentations sibyllines, le recueil ne pouvait être qu'un grimoire infernal. Des mots. Des phrases. Tous indéchiffrables. La grammaire française semble être une science occulte.
Ainsi, le grimoire perpétua les affres de la langue de Molière au sein de nos grammaires d'écoliers.